Escouade des récifs
Cinq millions d’humains dépendent des récifs coralliens pour survivre. À ce jour, 25 % des récifs de la planète ont passé le point de non-retour et on estime que près de la moitié des récifs subsistants seront menacés dans les 50 années à venir. L’avenir de ces écosystèmes vitaux est la raison de notre passage en Polynésie française. Il en est de même pour les chercheurs de la Living Oceans Foundation.
Daphné et moi rejoignons Brian Beck, scientifique spécialiste des coraux, et Jim Evans, l’enseignant à bord, à la passerelle du Sedna IV. Lorsque nous descendons dans le carré de l’équipage, Brian sort son appareil photo et Jim s’exclame : « Wow, this is so nice ! » Je suis surprise de constater qu’ils sont aussi fébriles que nous. Notre navire à l’allure romantique est l’antithèse du Golden Shadow, l’embarcation à moteur rutilante leur servant de base scientifique. Rendues chez eux, c’est nous maintenant qui sommes émerveillées! Brian ouvre les portes une à une à l’intérieur de la bête. De toutes les pièces de ce labyrinthe, c’est le laboratoire qui retient mon attention. Murs blancs, armoires et comptoirs impeccables en acier inoxydable : l’endroit semble inhabité. Pourtant, plus de 20 chercheurs animent les lieux à chacune de leurs expéditions.
Brian extirpe de son étui une sonde de pH. L’engin est fréquemment utilisé par un trio de chercheurs étudiant l’acidification des océans. L’océan devient plus acide, car il absorbe les excès de nos modes de vie, le CO2 atmosphérique, comme une grande éponge. Le surplus de gaz carbonique dérègle la chimie de l’eau et ultimement, peut rendre la vie dure aux coraux. Dans une eau trop acide, le corail peine à puiser les matériaux nécessaires pour fabriquer un squelette de calcaire solide.
Les scientifiques de l’expédition ne s’arrêtent pas à de simples données de pH. Ils perforent les coraux pour en extraire des carottes. Ainsi, 300 précieux échantillons ont été prélevés sur les récifs polynésiens depuis septembre. Comme avec les anneaux de croissance d’un arbre, les chercheurs qui analysent une carotte de corail peuvent déterminer son taux de croissance par l’épaisseur et la densité de chaque bande. En jumelant ces données à celles du pH, ils espèrent voir comment les coraux réagissent à l’acidification.
On a tendance à croire, moi la première, que les récifs coralliens sont des écosystèmes fragiles. Brian nous révèle plutôt le contraire : « Un récif peut gérer assez bien une perturbation. C’est lorsque les stress s’accumulent qu’ils craquent sous la pression. »1 Il ajoute que les populations vivant près des récifs ne sont pas responsables des émissions de gaz à effet de serre à l’origine de l’acidification et ne peuvent la freiner. Toutefois, en réduisant les autres pressions, par une gestion des pêches durables ou une diminution de la pollution par lessivage des terres agricoles, ils parviendront à maintenir les récifs en santé.
Au terme de leur mission scientifique, près de 300 chercheurs qui étudient les récifs coralliens auront séjourné sur le Golden Shadow. Brian nous raconte qu’en réalité, ils sont bien plus nombreux à se pencher sur cette situation inquiétante. Chaque quatre ans plus de 3000 scientifiques à la rescousse des coraux se réunissent lors du International Coral Reef Symposium. L’escouade des récifs est là!
La prochaine fois que je prendrai mon vélo ou le transport en commun, je le ferai dans les rangs de l’escouade, pour réduire mes émissions de CO2 qui ont des impacts bien plus loin que je ne le crois…
[1] Traduction libre de l’anglais.